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Récit d'un commandos
Ma guerre
Le ciel gris du petit matin. La forêt dans une froide atmosphère humide. Les détonations des armes automatiques qui perdurent dans un éternel sifflement... Jocelyn oubliait presque que la mort le guettait, à quelques mètres, derrière les troncs mouillés des arbres. « Voilà ma guerre ! » Ces mots défilaient sans cesse dans sa tête ; c'était la guerre. Guerre sans héros, bien sûr. Jocelyn savait maintenant que les guerres n'ont plus de héros depuis longtemps. En ont-elles jamais eus ? Il se remémorait cette phrase déclamée par un vieil adjudant alcoolique : « Dans les trous de combat, l'amertume des soldats est plus forte que leurs rêves.»
Un râle sourd le sortit de sa torpeur. C'était Art qui émergeait légèrement du coma. Jocelyn s'attarda un moment à regarder le pansement imbibé de sang qui bouchait le trou dans le ventre du blessé. Puis il reprit son observation attentive des arbres, devant lui. La terre humide du trou qu'il avait creusé à la hâte dans la nuit lui coulait en particules granuleuses dans le cou.
« Ne crie pas, Art. Ne crie surtout pas, murmura-t-il sur un ton dépourvu d'émotion. Ils ne savent pas encore exactement où nous sommes. »
Machinalement, il porta la main à ses cartouchières. Il ne restait plus que deux chargeurs. Soixante quatre balles. Plus la vingtaine qui se trouvait encore dans son pistolet mitrailleur. Un enfant aurait dénombré quatre-vingt morts. Un homme de guerre ne comptait là que dix minutes de combat... et sa propre mort au bout.
Art fut repris par un tremblement convulsif. Le néant était proche. Ses mains, pourtant, se crispaient encore sur son fusil. Les yeux de Jocelyn fixaient les doigts serrés et pratiquement exsangues du mourant. La sensation d'une grosse boule se mit à grossir rapidement dans sa gorge. Puis ses crampes d'estomac le reprirent.
Il eut soudain besoin de parler pour laisser échapper un peu de l'angoisse qui l'étreignait. « Mais pourquoi suis-je obligé de vivre ça ? Je n'ai rien demandé, moi ! Rien à foutre de leur guerre de merde ! Je les méprise, tous ces cons qui commandent nos meurtres dans leurs états-majors. Je leur crache à la gueule ! »
Vain discours. Dans le même temps, intérieurement, il se disait qu'il avait été volontaire lors de la mobilisation, contrairement à d'autres qui avaient cherché à fuir. À ceux-là, qui le traitaient de sale con, il avait répondu que la liberté de son pays, c'était sa liberté et leur liberté ; que défendre cette liberté, c'était se défendre eux-mêmes. L'égoïsme larvé de ses amis lui avait inspiré un profond mépris. Et ce mépris lui avait donné la force de répondre « présent » à la guerre qui appelait sa main-d'oeuvre.
Maintenant, il se trouvait dans un trou en forêt, avec un copain qui mourait, perdu au milieu des lignes ennemies, dans un combat qui n'avait plus de sens, sinon celui de survivre.
Brusquement, il crut que son coeur s'arrêtait... Il venait d'entendre le bruit des feuilles mortes que l'on foule en rampant. Quelqu'un venait dans leur direction. Jocelyn n'osait plus redresser la tête hors du trou. Les autres étaient encore plus près qu'il ne l'avait cru. Ils cherchaient ces deux soldats qui avaient réussi à fuir après l'embuscade ratée. Ils ne savaient pas exactement où ces deux loups se trouvaient, mais ils cherchaient sans relâche depuis la veille. De toute façon, Art et Jocelyn ne pouvaient être que dans cette forêt. Ils étaient condamnés à plus ou moins brève échéance. C'était le sort réservé aux commandos qui se faisaient prendre après une mission ratée. Personne n'aime les pourris qui viennent tendre des embuscades dans vos lignes. Ils sont comme des scorpions qui se glissent dans vos bottes. On doit les écraser pour les punir de leur crime sournois. Jocelyn le savait parfaitement. Il préfèrait ne pas y penser. Il devait survivre avant tout.
Très lentement, il décrocha une grenade de son brelage et la posa tout près du rebord du trou. Puis il respira une longue goulée d'air pour calmer les battements de son coeur. Il entendait encore le bruit des hommes qui rampaient. Cela voulait dire qu'ils n'étaient pas en position de tir. Même s'ils l'apercevaient lorsqu'il regarderait au dehors, ils n'auraient pas le temps de viser et de lui faire sauter la tête. Il vérifia la position de son pistolet mitrailleur et, dans un long mouvement, il changea ses appuis pour se redresser et jeter un coup d'oeil à travers les branchages.
Il vit tout de suite la silhouette brune qui rampait à trente mètres, au fond de la dépression, là où les arbres étaient plus espacés. Il lui fallut plus de temps pour distinguer les trois soldats postés derrière les troncs. Cette vision lui détendit les nerfs. Les autres avançaient parallèlement au trou. Cela voulait dire qu'ils ne l'avaient pas encore repéré. Mais tout de suite après, il s'en voulut de la déduction qu'il avait faite au sujet de ces soldats qui rampaient et ne pouvaient tirer en même temps. Car, bien évidemment, ils progressaient en « boules de billard » et, à chaque instants, deux d'entre eux au moins se tenaient en position de tir. Il aurait pu se faire descendre s'ils avaient progressé en direction du trou. Sa déduction n'avait pas tenu compte de tous les paramètres qui font le combat rapproché. Une sueur froide lui inonda le dos à l'issue de cette réflexion. Il se sentait impuissant dans ce jeu tragique auquel il devait se soumettre sous peine de mort.
Il demeura ainsi, sans bouger, jusqu'à ce que le bruit des soldats qui le cherchaient disparût dans les profondeurs de la forêt.
Art avait cessé de grelotter. Ses traits s'étaient détendus. On aurait dit qu'il dormait. Jocelyn se pencha sur lui et plaqua la lame de son couteau sous son nez. La buée apparut instantanément. Art vivait encore. La fièvre avait dû tomber ; son front n'était plus aussi brûlant que tout à l'heure. En le touchant, Jocelyn le fit un peu sortir du coma car son visage retrouva sa crispation antérieure et un gémissement s'échappa de ses lèvres blèmes.
« Art ? Tu m'entends ? » murmura Jocelyn en se penchant contre l'oreille de son ami.
« Je ne... veux pas... mou... » râla Art sans ouvrir les yeux.
« Moi non plus, je ne veux pas mourir, pensa Jocelyn. Et je ne veux pas que tu meures... » murmura-t-il à son compagnon en lui passant la main sur le front. Et c'était vrai.
« Compagnons d'armes ! » auraient grommelé les vieilles pouilles galonnées qui hantaient les cérémonies d'anciens combattants. Jocelyn se disait que cette expression usée cachait une réalité bien mal rendue. Entre Art et lui, il y avait un lien dont la force ne pouvait être rompu que par la mort. Ils se connaissaient depuis six mois ; depuis le début de cette guerre. Ils s'étaient usé les pieds ensemble sur les chemins boueux de l'Est ; ils avaient subi ensemble les humilations des gradés hystériques ; et tous les deux, ils avaient connu en même temps le désespoir infini que l'on ressent après avoir tué son premier homme. Depuis six mois, ils avaient souffert, ils avaient survécu ensemble. La guerre les avait rapprochés. Elle allait les séparer.
Jocelyn pensa qu'il était l'heure de manger. Bien sûr, Art n'était pas concerné : il n'avait plus de ventre. Jocelyn eut un haut-le-coeur à cette pensée. Mais il se força à ouvrir la ration de survie qui restait dans son sac à dos. Il se disait qu'il devait se nourrir. Pour Art. Il ne prit cependant qu'un peu de lait concentré et une pastille de sel. Deux gorgées d'eau lui suffirent pour se désaltérer. Sa gourde était à moitié vide. Il devait la ménager. Mais ça, les six mois de combat passés le lui avaient appris. « Je suis un vétéran, pensa-t-il. J'ai vingt et un ans et je suis un vétéran. » Il se mit à ricaner nerveusement en contemplant son arme et ses grenades.
Alors, pour penser à autre chose, il sortit d'une des poches de son treillis, celle qui se trouvait sur son coeur, une enveloppe pliée en deux, usée par les frottements incessants de l'étoffe. C'était la dernière lettre de sa princesse, Fiona. Il la déplia et perdit son regard dans la page couverte d'une écriture ronde et régulière. Fiona lui disait que tout était fini entre eux... Grand classique de littérature épistolaire du soldat de base. La recette était banale, mais efficace : il n'y avait plus rien entre eux depuis longtemps. Elle se demandait comment il avait pu faire semblant d'y croire encore lors de sa dernière permission. Elle s'excusait de lui faire du mal. Cette dernière phrase, Jocelyn la savourait toujours avec quelque plaisir masochiste : elle prouvait bien, en effet, que Fiona envisageait totalement que Jocelyn l'aimait encore, sinon pourquoi aurait-il pu ressentir de la douleur à cette rupture. Hypocrisie d'ingénue...
Pourtant, cette pauvre lettre avait longtemps hanté les nuits de Jocelyn. Lui aussi n'était qu'un ingénu. Mais la guerre finit toujours par avoir raison de l'ingénuité. Maintenant, Jocelyn aurait bien échangé la survie d'Art contre la trahison d'une centaine de Fiona.
Une voix lointaine rompit le calme de la forêt.
Les oiseaux se turent. Un long frisson parcourut la nuque de Jocelyn.
C'étaient des ordres que l'on donnait. Les autres devaient être à cinq cents mètres du trou. Jocelyn eut la prescience que, cette fois, il n'échapperait pas aux recherches. Pourtant, il voulut croire le contraire et demeura calme. Il se redressa et inspecta les alentours comme on le lui avait appris : par secteurs, des points d'abri les plus près aux quartiers de zones les plus lointains. Mais dans cette forêt, pourtant clairsemée, ce n'était pas facile. Lui-même comptait sur son invisibilité. Son visage était recouvert de suie noire ; les chromes de ses brelages usés étaient cachés sous une couche de boue séchée ; il portait ses gants de laine ; plusieurs branches d'arbuste étaient disposées sur son casque et dans son ceinturon.
Les branches d'arbuste ! Jocelyn crut défaillir en découvrant l'erreur. Il en avait également disposé tout autour du trou, en prenant garde d'exposer le bon côté des feuilles. Mais maintenant, après une nuit et une matinée, elles étaient toutes desséchées et flétries. C'étaient elles qui allaient le trahir ! Il aurait fallu être aveugle pour ne pas distinguer la tache claire qu'elles faisaient dans la forêt. Comme si Jocelyn avait allumé un feu en pleine nuit. Et il était trop tard pour les changer.
L'esprit de Jocelyn fonctionna à toute allure. Il devait trouver une solution. Ce qu'il fallait d'abord, c'était protéger Art. Les autres ne devaient pas trouver le trou. Il fallait les en éloigner. Jocelyn reviendrait plus tard. Il y laisserait quelques grenades et un chargeur. Le fusil d'Art pouvait encore servir. Jocelyn devait se diriger le plus rapidement possible vers une butte assez vaste pour échapper aux autres tout en attirant leurs tirs. Il lui restait deux mines anti-personnel. Il pourrait les enfouir derrière lui, sur la butte. Avec un peu de chance, il pourrait tenir jusqu'à la nuit et leur faire croire qu'il s'était échappé.
Jocelyn se jetta dans l'action. Une chaleur fébrile lui emplit le coeur. Il s'empara des deux mines, les mit dans les poches de son pantalon, puis, d'une main, il enserra le bras d'Art. « Dis-moi merde, mon vieux », murmura-t-il. Et il bondit hors du trou.
Il progressa par bonds rapides, sachant que seule la vitesse jouerait en sa faveur. Tous les dix mètres, il s'arrêtait derrière un tronc et écoutait la forêt pour détecter la présence des autres. Sur ce terrain, la vision était diminuée. Un homme immobile pouvait passer inaperçu. Or les autres avaient certainement posté des guetteurs çà et là.
Enfin, Jocelyn trouva la butte qu'il recherchait. Elle faisait comme un mur de feuilles mortes avec sa longue pente raide qu'il fallait escalader à quatre pattes. Jocelyn monta jusqu'au sommet sans s'arrêter. Il n'avait pas de temps à perdre. D'un rapide coup d'oeil, il jaugea le terrain. À l'évidence, les autres viendraient sur la butte par les deux dorsales qui la prolongeaient en pentes douces au nord et au sud. C'est là qu'il fallait placer les mines. Jocelyn fut surpris de ne pas ressentir la peur qu'il avait toujours eue auparavant en posant ces engins de mort. Il n'en avait pas le temps, aujourd'hui. Il se posta près d'un gros chêne, derrière le tronc abattu d'un hêtre centenaire. Il vérifia la position du chargeur qui lui restait dans ses cartouchières. Il devrait tirer par courtes rafales de trois balles. Il pria pour que son P.M. ne s'enrayât pas. Il garderait les trois grenades offensives pour la fin.
L'attente ne fut pas longue. Une section approcha de la butte. Jocelyn ne la voyait pas mais il l'entendait. Il comprit qu'un groupe montait par la dorsale sud tandis que deux autres se postaient en appui sur l'est, en face de lui, au pied de la butte. Il corrigea sa position, prêt à tirer sur le groupe qui montait. Les soldats se tenaient moins sur leurs gardes que dans la matinée. La longue recherche avait émoussé leur prudence. Ce qui devait arriver arriva donc...
Une explosion violente. Un hurlement de douleur. Le crépitement sec d'une demi-douzaines de rafales. Le tout déchira en deux ou trois secondes les tympans de tout ce qui vivait ici. Puis ce fut le silence. Comme éternel. Puis des voix qui interrogeaient fébrilement. Un gémissement, une terrible souffrance. L'homme de tête venait de perdre une jambe sur la mine.
Le visage de Jocelyn était figé dans une expresson dépourvue d'émotion. Il se reprocha froidement sa capacité à tuer et à détruire sans remords. Peut-être que Fiona avait raison : lui aussi faisait maintenant partie des responsables de la guerre. Il est vrai qu'au bout de six mois, il avait appris à bien tuer, c'est-à-dire beaucoup. Un bon soldat. Un exemple. Comme Art, qui crevait dans son trou, les tripes en bouillie.
Au bout d'un moment, Jocelyn perçut les conversations animées des postes de transmission radio de la section ennemie. D'une voix blanche, son chef appelait des renforts. Jocelyn ricana. Il avait gagné. Maintenant, ils laisseraient Art tranquille. Jocelyn n'avait plus qu'à s'amuser...
S'amuser... Étrange pensée. Même pas cynique. Simplement horrible. Jocelyn en eut soudainement honte. En vérité - la vraie vérité -, il ne désirait qu'une seule chose : il voulait survivre.
« Ne les laisse pas s'organiser, pensa-t-il. Il faut foncer dans le tas et leur faire peur. Tu te replies ensuite. »
Il sauta par dessus le hêtre abattu et courut en direction de la dorsale sud. À mi-chemin, il s'arrêta derrière un arbre. Il vit un fusil-mitrailleur en batterie. Ses deux servants levaient la tête pour mieux voir ce qu'ils ne voyaient pas encore mais entendaient seulement. « Pauvres types ! » se dit Jocelyn. Et il dégoupilla une grenade qu'il envoya dans leur direction après avoir compté jusqu'à trois. Explosion. Sans attendre, il fonça en hurlant les cris de l'enfer. Des crépitement exacerbés jaillirent de tous les côtés pour lui répondre. Mais il parvint à dépasser les lignes du groupe embusqué sans être touché. Le coup était classique. Il l'avait déjà réalisé deux fois. Et encore une fois, la chance lui avait souri. Les autres étaient abasourdis. Réaction normale qui faussait leurs perceptions et leurs capacités de réaction. Seul le hasard, ou un sang-froid, supérieur auraient pu leur permettre de localiser Jocelyn et de le viser proprement. Maintenant, ils ne savaient toujours pas où était passé leur assaillant ni même quelle était sa puissance de feu. Seule une extrême nervosité guidait leurs actes. Il n'avaient pour atout que leur nombre. Mais ils ne le savaient même plus tant l'émotion les avait embrassés dans ce déluge de feu et de bruit. Jocelyn dominait parfaitement tout cela. Sans même prendre le temps de s'arrêter dans sa course, il exécuta un virage à 180 degrés et revint sur ses pas dans une nouvelle charge, cette fois muette. Il surprit les autres qui se rendaient compte trop tard qu'il arrivait par derrière. Il vida ce qui restait de son chargeur en courtes rafales sur la droite et sur la gauche, à la hauteur de tous les uniformes qu'il percevait dans son élan. Quand il parvint au hêtre et qu'il plongea derrière, il sut qu'il venait d'éteindre la vie de six hommes au moins. L'audace avait tout naturellement payé son dû. Jocelyn se contenta d'écouter les battements puissants de son coeur quelques secondes, comme un roulement de timbales saluant la victoire du héros. Puis il jeta son chargeur vide et enclencha celui qui était plein dans son arme brûlante. Il se félicita enfin de son efficacité.
La forêt semblait pétrifiée après ce déchainement de bruit et de mort. Un temps incalculable s'écoula, comme celui que prend l'archer pour viser sa cible : l'arc tendu, le regard porté sur l'action fulgurante qui doit implacablement déchirer le continuum. Jocelyn ressentit de plus en plus cette tension du destin. Le silence de cette forêt l'étouffait petit à petit. Pourquoi n'entendait-il plus les réactions des autres ?
Soudain, très loin sur la droite, il entendit une explosion. Puis une rafale. Le silence revint à nouveau. Un vide incommensurable l'accompagna au plus profond du coeur de Jocelyn. Il venait de comprendre : c'était Art ! Ils l'avaient découvert dans son trou. Ils venaient de l'achever.
Alors une rage terrible s'empara de Jocelyn. Une rage inextinguible. Elle lui monta du creux du ventre. Elle le submergea. Elle apporta avec elle une force extraordinaire. Et comme un démon expulsé des entrailles de la Terre, Jocelyn sortit de son abri en hurlant sa soudaine soif de mort. Le regard ivre de haine, il dévala la pente en direction de ce qui restait de la section ennemie. Il franchit à nouveau la ligne des soldats en brun et vida son chargeur en direction de toutes les silhouettes qu'il pouvait distinguer dans sa course. Il s'arrêta pour lancer une grenade sur un fusil-mitrailleur en batterie et se jeta à terre pour échapper à la déflagration. Un poids terrible lui tomba sur le dos.
Cela le calma tant son étonnement fut grand. C'était un soldat qui venait enfin de réagir avec lucidité. Il maintenait Jocelyn de tout son poids contre le sol. Alors, Jocelyn brisa le carcan de l'étonnement qui l'avait stoppé dans sa rage. Il rassembla ses forces et parvint à dégager sa dernière grenade. Il la dégoupilla aussitôt et hurla : « Lâche-moi ou nous sautons ! » Mais l'autre ne lâcha pas prise. Ses collègues arrivaient lentement, à petit pas. La stupéfaction se lisait dans leurs regards. Jocelyn s'attarda sur l'un de ces regards stupéfaits. Le jeune garçon n'avait pas dix-sept ans. Jocelyn eut honte. La grenade était dégoupillée. Elle devait sauter. Pourtant Jocelyn ne parvenait pas à la lâcher. Il regarda le jeune garçon qui s'avançait. Lentement, celui-ci s'empara de la grenade en prenant soin de maintenir bloquée la cuillère. Puis, tranquillement, il en condamna le ressort avec une goupille qu'il sortit d'une de ses poches. Il sourit. Jocelyn sourit à son tour. Un ordre fut donné. Le jeune homme dégaina un couteau, attrapa Jocelyn par le haut du casque, lui tira la tête en arrière, puis d'un geste sec, il enfonça son poignard sous le menton jusqu'à la garde. Son visage était dépourvu d'expression. « Voilà ma guerre ! » pensa-t-il.
Fin
© Knimidô MOMIR 1997
ps: Je tiens à préciser que je ne suis pas l'auteur de ce texte.
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